mardi 24 janvier 2012

La ferveur religieuse éthiopienne

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de la ferveur religieuse des Ethiopiens dans un premier récit à l'occasion de la grande fête de Meskel en septembre dernier. 

Deux événements récents, la fête de Timkat (épiphanie orthodoxe) et un mariage auquel j'ai été invité, m'invitent à revenir sur ce sujet, photos à l'appui. 


Le pays est l’un des plus anciens pays christianisés dans le monde puisque cela remonte au IVéme siècle. 60 % des Ethiopiens sont aujourd’hui de religion chrétienne, pour les deux tiers orthodoxes. Le mythique « royaume du prêtre Jean » avec lequel les Européens du Moyen-âge voulaient faire alliance contre le monde musulman,  s’est toujours appuyé sur une Eglise puissante, indissociable de l’Etat. Rattachée jusqu’aux années 50 au patriarcat copte d’Alexandrie, elle est devenue depuis autocéphale, sous l’autorité actuelle de l’abuna (patriarche) Paulos. 





Au-delà des apparences de toute puissance, dans une débauche de luxe apparent (vêtements, Mercedes dernier cri), l’autorité de ce dernier semble contestée, l’Eglise fonctionnant de façon très décentralisée. 
Je n’ai pas encore compris la nature exacte des tensions qui agitent l’Eglise : sociales, ethniques, politiques ? un peu tout à la fois ? 

Il est clair en tout cas que l’Eglise orthodoxe est un corps puissant, riche, peu engagé dans les œuvres sociales (contrairement aux Musulmans et aux Protestants), qui appuie les régimes successifs en place.









Les autres chrétiens sont essentiellement protestants. Ces Eglises importées depuis une cinquantaine d’années, sous l’influence principalement de missionnaires évangélistes américains, s’appuient sur une politique sociale très active. Elles se développent assez rapidement, suscitant par la même un rejet des orthodoxes et des musulmans. Des incidents graves ont été relevés durant les dernières années, avec en particulier plusieurs dizaines de temples détruits il y a deux ans dans le Sud du pays. Mais ces événements sont systématiquement minorés, voire ignorés des médias par peur d’attiser des tensions religieuses.







Toutes les religions sont bien portantes en Ethiopie. Des églises, des temples et des mosquées sont construites dans tout le pays dans tout le pays.

La seconde religion du pays est l’Islam : environ 30 % de la population éthiopienne, peut être plus (il n'y a pas de statistiques fiables). Même si les pourcentages peuvent varier d’une ethnie à une autre, d’une région à une autre, on trouve des musulmans dans tous les Etats qui forment la fédération éthiopienne. Il n’est pas rare qu’au sein d’une même famille, il y ait des membres musulmans et d’autres chrétiens, ce qui alimente sans doute la paix religieuse qui semble encore aujourd’hui solide. L’Ethiopie est d’ailleurs assez fière de cette coexistence pacifique qu’elle fait remonter à l’époque de Mahomet : la nourrice du prophète n’était-elle pas éthiopienne ! 

Nous avons eu moins l’occasion d’observer le rite musulman. Les mosquées, souvent de construction récente, sont construites dans un style saoudien, sans doute avec des financements provenant en partie de la péninsule arabique. Nous en avons une non loin de chez nous et nous sommes réveillés chaque matin vers 5h par le premier des appels du muezzin. Une demi-heure après, les chants des églises orthodoxes du quartier prennent le dessus. Et ainsi de suite toute la journée, dans une véritable concurrence sonore à laquelle on finit heureusement par s’habituer.


Au-delà de cet équilibre inter-religieux, l’Ethiopie se voir quand même essentiellement comme un pays chrétien (et elle est perçue comme telle dans son environnement). Elle se méfie de influences wahabistes et salafistes, en provenance notamment de Somalie ou du Soudan, qui pourraient modifier les pratiques des musulmans dans le pays. Elle vient d’intervenir de nouveau en Somalie pour tenter d’écraser les milices islamistes du Shabaab, avec la bénédiction des pays de la région et de la communauté internationale.


Les fondations mythologiques de l’orthodoxie sont impressionnantes, faisant incontestablement de cette religion un rite national et du peuple éthiopien un véritable peuple élu.


Tout remonte aux amours de la reine de Saba et du roi Salomon. Le fils né de cette union s’enfuit de Jérusalem vers l’Ethiopie en emportant avec lui les tables de la Loi. Celles-ci seraient toujours cachées au sein de l’une des églises d’Axoum. Une reproduction de ces tables est au cœur de chaque église.


De nombreux autres mythes permettent de conforter les Ethiopiens dans le sentiment d’être l’autre peuple élu. Ainsi, la fuite en Egypte de Marie, Joseph et Jésus, ne s’est pas arrêtée dans le Sinaï ou même dans le delta du Nil mais elle les a en fait porté jusqu’au lac Tana, dans le nord de l’Ethiopie.

Procession de Timkat : les tables de la Loi


Les tables de la Loi sont portées en procession dans tout le pays au moment de l’épiphanie (Timkat), cérémonie que nous venons de vivre à Addis (les 20 et 21 janvier).



L’immense procession est passée devant chez nous, partant d’un immense champ où avait été installé un autel et où étaient rassemblés des centaines de milliers d’habitants d’Addis pour rejoindre un monastère situé un peu plus haut dans les collines.









La préparation des rues a commencé une dizaine de jours plus tôt : pavoisement aux couleurs de l’Ethiopie, construction d’autels en bois tout au long du chemin, immenses calicots représentant le Christ ou la vierge Marie. Le jour dit,  notre quartier, si miséreux en temps normal, est méconnaissable. La foule est là par dizaine de milliers, massée calmement sur les bords de la route qui grimpe vers les collines.


La procession apparaît au loin, avançant lentement dans les chants et les rythmes des gros tambours. En l’attendant, les gens sont rassemblés et chantent en battant le rythme des mains. Ambiance incroyablement joyeuse et calme en même temps. La foule n’est que sourires, bras entrelacés, salutations fraternelles. Je dois dire que je suis profondément touché, une nouvelle fois, par ce peuple  si pauvre mais en même temps si fier et qui nous montre tous les jours comment vivre ensemble.


L’arrivée de la procession est précédée par celle de jeunes volontaires, en T- shirts jaunes, qui répandent de chaque côté de la route un tapis d’herbes comme cela se fait pour chaque cérémonie (à commencer par celle du café). Puis d’autres jeunes portent et déroulent (puis réenroulent) un immense tapis rouge, ceci sur les
quelques kilomètres où progresse la procession.









Arrivent enfin les porteurs des tables de la Loi … que nous ne verrons malheureusement pas car elles sont recouvertes. Le mystère doit demeurer jusqu’au bout.








Le clergé orthodoxe est abondant, sans doute des centaines de milliers de prêtres, religieux et nonnes, moines mendiants et ermites.






Le rite se rapproche de celui des églises orthodoxes européennes. Au cœur de l’église, il y a un espace réservé aux prêtres. L’intérieur de l’église est réservé aux hommes. Les femmes, aux cheveux nécessairement couverts, restent hors du bâtiment. Des haut-parleurs diffusent bruyamment, à partir de 4 ou 5 heures du matin, prières, chants et offices religieux.


De nombreux Ethiopiens vont chaque jour à l’office. Dans la rue, les passants se signent à chaque fois qu’ils passent devant une église. Enfin, les orthodoxes effectuent deux à trois jours de jeûne par semaine (pas de protéines animales), sans compter les 40 jours de carême très suivis et les nombreuses veilles de fêtes religieuses. Les restaurants proposent tous des menus « fastings » pour les jours de jeûne. Il nous faut aussi y penser quand nous invitons des Ethiopiens.

A proximité des églises et dans les rues environnantes, il y a toujours une foule nombreuse. Les mendiants, qui dorment sur les trottoirs environnants (impressionnant quand on passe la nuit, ces dizaines de personnes emmitouflées dans une pauvre couverture par des températures qui avoisinent souvent 5°), interpellent, le plus souvent de façon pressante mais sans agressivité, les voitures qui passent comme les fidèles qui se rendent à l’office.

Dans la cour de l’église, les foules se succèdent au rythme des offices, plusieurs par jour. Beaucoup de vieilles femmes y passent leur journée. On m’explique que ce sont des femmes qui, souvent veuves, après avoir élevé leurs enfants, consacrent leur vie à la prière. On croise aussi des ermites, des moines mendiants.

J’ai eu aussi la chance et le plaisir d’assister à un mariage éthiopien. Du moins à une petite partie car la cérémonie est très longue. Les jeunes mariés passent une nuit de prière à l’église : la mariée et ses témoins féminines sont séparées des hommes par un rideau qui les tient à distance de l’espace sacré. La cérémonie commence vers 4h du matin. Puis vers 9h, les mariés sortent de l’église et rejoignent leur famille et leurs amis, massés à l’extérieur.

 Ils sont précédés par une procession joyeuse. Toute la famille et les amis les suivent ensuite, sous les applaudissements des fidèles et les youyous des femmes venus prier autour de l’église.  Nous sommes ensuite rassemblés dans une salle des fêtes, à proximité de l’église. Longs sermons de prêtres passablement excités. Je n’y comprends rien bien entendu. Cela dure une bonne heure. C’est à la fois sérieux et manifestement humoristique, les gens s’esclaffant à de nombreuses reprises. La cérémonie s’achève par le repas. Evidemment de l’Injerra, la galette de tef qui est la base de tous les repas en Ethiopie, accompagnée de purée de lentilles, d’un ragoût de viande et de légumes épicés de piment. Et puis le café, préparé lors d’une cérémonie codifiée : herbes au sol, encens mis sur le charbon, torréfaction des grains verts (on fait humer la fumée à tous les convives pour se purifier), puis cuisson «  à la turque » du café dans des pots noirs de suie….


A bientôt.



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