mardi 24 janvier 2012

La ferveur religieuse éthiopienne

J'ai déjà eu l'occasion de vous parler de la ferveur religieuse des Ethiopiens dans un premier récit à l'occasion de la grande fête de Meskel en septembre dernier. 

Deux événements récents, la fête de Timkat (épiphanie orthodoxe) et un mariage auquel j'ai été invité, m'invitent à revenir sur ce sujet, photos à l'appui. 


Le pays est l’un des plus anciens pays christianisés dans le monde puisque cela remonte au IVéme siècle. 60 % des Ethiopiens sont aujourd’hui de religion chrétienne, pour les deux tiers orthodoxes. Le mythique « royaume du prêtre Jean » avec lequel les Européens du Moyen-âge voulaient faire alliance contre le monde musulman,  s’est toujours appuyé sur une Eglise puissante, indissociable de l’Etat. Rattachée jusqu’aux années 50 au patriarcat copte d’Alexandrie, elle est devenue depuis autocéphale, sous l’autorité actuelle de l’abuna (patriarche) Paulos. 





Au-delà des apparences de toute puissance, dans une débauche de luxe apparent (vêtements, Mercedes dernier cri), l’autorité de ce dernier semble contestée, l’Eglise fonctionnant de façon très décentralisée. 
Je n’ai pas encore compris la nature exacte des tensions qui agitent l’Eglise : sociales, ethniques, politiques ? un peu tout à la fois ? 

Il est clair en tout cas que l’Eglise orthodoxe est un corps puissant, riche, peu engagé dans les œuvres sociales (contrairement aux Musulmans et aux Protestants), qui appuie les régimes successifs en place.









Les autres chrétiens sont essentiellement protestants. Ces Eglises importées depuis une cinquantaine d’années, sous l’influence principalement de missionnaires évangélistes américains, s’appuient sur une politique sociale très active. Elles se développent assez rapidement, suscitant par la même un rejet des orthodoxes et des musulmans. Des incidents graves ont été relevés durant les dernières années, avec en particulier plusieurs dizaines de temples détruits il y a deux ans dans le Sud du pays. Mais ces événements sont systématiquement minorés, voire ignorés des médias par peur d’attiser des tensions religieuses.







Toutes les religions sont bien portantes en Ethiopie. Des églises, des temples et des mosquées sont construites dans tout le pays dans tout le pays.

La seconde religion du pays est l’Islam : environ 30 % de la population éthiopienne, peut être plus (il n'y a pas de statistiques fiables). Même si les pourcentages peuvent varier d’une ethnie à une autre, d’une région à une autre, on trouve des musulmans dans tous les Etats qui forment la fédération éthiopienne. Il n’est pas rare qu’au sein d’une même famille, il y ait des membres musulmans et d’autres chrétiens, ce qui alimente sans doute la paix religieuse qui semble encore aujourd’hui solide. L’Ethiopie est d’ailleurs assez fière de cette coexistence pacifique qu’elle fait remonter à l’époque de Mahomet : la nourrice du prophète n’était-elle pas éthiopienne ! 

Nous avons eu moins l’occasion d’observer le rite musulman. Les mosquées, souvent de construction récente, sont construites dans un style saoudien, sans doute avec des financements provenant en partie de la péninsule arabique. Nous en avons une non loin de chez nous et nous sommes réveillés chaque matin vers 5h par le premier des appels du muezzin. Une demi-heure après, les chants des églises orthodoxes du quartier prennent le dessus. Et ainsi de suite toute la journée, dans une véritable concurrence sonore à laquelle on finit heureusement par s’habituer.


Au-delà de cet équilibre inter-religieux, l’Ethiopie se voir quand même essentiellement comme un pays chrétien (et elle est perçue comme telle dans son environnement). Elle se méfie de influences wahabistes et salafistes, en provenance notamment de Somalie ou du Soudan, qui pourraient modifier les pratiques des musulmans dans le pays. Elle vient d’intervenir de nouveau en Somalie pour tenter d’écraser les milices islamistes du Shabaab, avec la bénédiction des pays de la région et de la communauté internationale.


Les fondations mythologiques de l’orthodoxie sont impressionnantes, faisant incontestablement de cette religion un rite national et du peuple éthiopien un véritable peuple élu.


Tout remonte aux amours de la reine de Saba et du roi Salomon. Le fils né de cette union s’enfuit de Jérusalem vers l’Ethiopie en emportant avec lui les tables de la Loi. Celles-ci seraient toujours cachées au sein de l’une des églises d’Axoum. Une reproduction de ces tables est au cœur de chaque église.


De nombreux autres mythes permettent de conforter les Ethiopiens dans le sentiment d’être l’autre peuple élu. Ainsi, la fuite en Egypte de Marie, Joseph et Jésus, ne s’est pas arrêtée dans le Sinaï ou même dans le delta du Nil mais elle les a en fait porté jusqu’au lac Tana, dans le nord de l’Ethiopie.

Procession de Timkat : les tables de la Loi


Les tables de la Loi sont portées en procession dans tout le pays au moment de l’épiphanie (Timkat), cérémonie que nous venons de vivre à Addis (les 20 et 21 janvier).



L’immense procession est passée devant chez nous, partant d’un immense champ où avait été installé un autel et où étaient rassemblés des centaines de milliers d’habitants d’Addis pour rejoindre un monastère situé un peu plus haut dans les collines.









La préparation des rues a commencé une dizaine de jours plus tôt : pavoisement aux couleurs de l’Ethiopie, construction d’autels en bois tout au long du chemin, immenses calicots représentant le Christ ou la vierge Marie. Le jour dit,  notre quartier, si miséreux en temps normal, est méconnaissable. La foule est là par dizaine de milliers, massée calmement sur les bords de la route qui grimpe vers les collines.


La procession apparaît au loin, avançant lentement dans les chants et les rythmes des gros tambours. En l’attendant, les gens sont rassemblés et chantent en battant le rythme des mains. Ambiance incroyablement joyeuse et calme en même temps. La foule n’est que sourires, bras entrelacés, salutations fraternelles. Je dois dire que je suis profondément touché, une nouvelle fois, par ce peuple  si pauvre mais en même temps si fier et qui nous montre tous les jours comment vivre ensemble.


L’arrivée de la procession est précédée par celle de jeunes volontaires, en T- shirts jaunes, qui répandent de chaque côté de la route un tapis d’herbes comme cela se fait pour chaque cérémonie (à commencer par celle du café). Puis d’autres jeunes portent et déroulent (puis réenroulent) un immense tapis rouge, ceci sur les
quelques kilomètres où progresse la procession.









Arrivent enfin les porteurs des tables de la Loi … que nous ne verrons malheureusement pas car elles sont recouvertes. Le mystère doit demeurer jusqu’au bout.








Le clergé orthodoxe est abondant, sans doute des centaines de milliers de prêtres, religieux et nonnes, moines mendiants et ermites.






Le rite se rapproche de celui des églises orthodoxes européennes. Au cœur de l’église, il y a un espace réservé aux prêtres. L’intérieur de l’église est réservé aux hommes. Les femmes, aux cheveux nécessairement couverts, restent hors du bâtiment. Des haut-parleurs diffusent bruyamment, à partir de 4 ou 5 heures du matin, prières, chants et offices religieux.


De nombreux Ethiopiens vont chaque jour à l’office. Dans la rue, les passants se signent à chaque fois qu’ils passent devant une église. Enfin, les orthodoxes effectuent deux à trois jours de jeûne par semaine (pas de protéines animales), sans compter les 40 jours de carême très suivis et les nombreuses veilles de fêtes religieuses. Les restaurants proposent tous des menus « fastings » pour les jours de jeûne. Il nous faut aussi y penser quand nous invitons des Ethiopiens.

A proximité des églises et dans les rues environnantes, il y a toujours une foule nombreuse. Les mendiants, qui dorment sur les trottoirs environnants (impressionnant quand on passe la nuit, ces dizaines de personnes emmitouflées dans une pauvre couverture par des températures qui avoisinent souvent 5°), interpellent, le plus souvent de façon pressante mais sans agressivité, les voitures qui passent comme les fidèles qui se rendent à l’office.

Dans la cour de l’église, les foules se succèdent au rythme des offices, plusieurs par jour. Beaucoup de vieilles femmes y passent leur journée. On m’explique que ce sont des femmes qui, souvent veuves, après avoir élevé leurs enfants, consacrent leur vie à la prière. On croise aussi des ermites, des moines mendiants.

J’ai eu aussi la chance et le plaisir d’assister à un mariage éthiopien. Du moins à une petite partie car la cérémonie est très longue. Les jeunes mariés passent une nuit de prière à l’église : la mariée et ses témoins féminines sont séparées des hommes par un rideau qui les tient à distance de l’espace sacré. La cérémonie commence vers 4h du matin. Puis vers 9h, les mariés sortent de l’église et rejoignent leur famille et leurs amis, massés à l’extérieur.

 Ils sont précédés par une procession joyeuse. Toute la famille et les amis les suivent ensuite, sous les applaudissements des fidèles et les youyous des femmes venus prier autour de l’église.  Nous sommes ensuite rassemblés dans une salle des fêtes, à proximité de l’église. Longs sermons de prêtres passablement excités. Je n’y comprends rien bien entendu. Cela dure une bonne heure. C’est à la fois sérieux et manifestement humoristique, les gens s’esclaffant à de nombreuses reprises. La cérémonie s’achève par le repas. Evidemment de l’Injerra, la galette de tef qui est la base de tous les repas en Ethiopie, accompagnée de purée de lentilles, d’un ragoût de viande et de légumes épicés de piment. Et puis le café, préparé lors d’une cérémonie codifiée : herbes au sol, encens mis sur le charbon, torréfaction des grains verts (on fait humer la fumée à tous les convives pour se purifier), puis cuisson «  à la turque » du café dans des pots noirs de suie….


A bientôt.



Le lac de Langano et la savane éthiopienne

 Le jour de noël, nous partons avec Nico, Marie et les filles vers Langano, un lac de la vallée du rift, à environ 200 km d’Addis. Trois heures et demi de route en raison de la difficulté pour sortir d’Addis (route de Djibouti), puis, comme toujours en Ethiopie, en raison du nombre de gens qui marchent au bord des routes et des troupeaux qui la traversent.

Termitières


Depuis Addis, on descend progressivement, sans à-coup. Il n’y a pas de cassure géologique à cet endroit pour séparer le plateau de la faille. C’est peut être pour cela que la capitale s’est installée à cet endroit. On descend néanmoins imperceptiblement de plusieurs centaines de mètres. La température monte nettement et le paysage cultivé du plateau éthiopien laisse place peu à peu à la savane, en particulier après Ziway.



Mais la proximité des lacs permet l’irrigation. Nous voyons en particulier d’immenses fermes avec des plantations de roses, sous serre. 

Lorsque je repartirai le lundi matin de très bonne heure, je verrai des centaines de travailleurs agricoles se rendant à l’embauche dans ces exploitations. Leur nombre augmente rapidement. A moins d’un euro / jour par travailleur, avec l’eau et la chaleur de la région, la production de roses éthiopiennes (souvent possession de groupes indiens) est actuellement la plus rentable en Afrique (devant le Kenya même en termes de coût : moins de 10 centimes d'euros / fleur) et permet d’inonder ensuite l’Europe par vols cargos spéciaux. Quand on offre un bouquet de roses à Paris, il y a désormais de fortes chances qu’elles viennent d’Addis via Liège. Lourd bilan écologique.

Je ne passe qu’une nuit dans le lodge que nous atteignons après 20 km d’une très mauvaise piste. Le lieu est superbe mais je ne peux y rester plus longtemps car je reprends le travail le 26 au matin. Delphine vous décrira sans doute sur son blog la magie du lieu et en particulier de la forêt, peuplée de singes et de phacochères. Je fais une courte visite du soir dans la forêt quand même et je croise plusieurs singes qui sautent au-dessus de moi dans les branches. C'est vraiment impressionnant et magique. 

Je pars vers 5h du matin. Il fait encore nuit noire mais je veux être à Addis vers 9h. Une heure de piste, à 20 km à l’heure, en traversant des villages de toukouls et de paillotes encore endormis. Je vois encore mieux les défauts de la piste grâce aux phares et rouler est presque plus facile que de jour. Je rejoins la grande route quand le jour se lève. Lever de soleil africain sur la savane. Premiers troupeaux qui sortent. Premiers piétons qui rejoignent les champs ou les exploitations rosières. Premiers groupes d’enfants qui vont vers l’école. La vie envahit une fois encore la campagne éthiopienne.


Trois frontières, trois conflits


Mes récits sont émerveillés par tout cet univers que nous découvrons chaque jour. Ils le sont d’autant plus que nous vivons à Addis dans un monde calme, sécurisé. Mais à quelques centaines de km d’ici, nous ne devons pas oublier que la réalité est très différente.


L’Ethiopie est un pays aujourd'hui calme dans un environnement où se concentre une grande part des drames de l’Afrique.

A l’ouest, le Soudan et le Sud-Soudan connaissent depuis des décennies la guerre. Plusieurs millions de morts sans doute. On s’y est intéressé en Occident au moment de la crise du Darfour. Celle-ci n’est pas finie et le Soudan est au bord de l’implosion avec les conflits apparus dans ses Etats du Sud (Etats du Nil bleu e du Sud Kordofan). L’indépendance du Sud n’a pas réglé la crise. Des accrochages ont lieu régulièrement sur la frontière gardée maintenant par des casques bleus éthiopiens (4000 pour une frontière de plusieurs centaines de km). Plus de 25.000 réfugiés soudanais sont aujourd'hui installés à l’Ouest de l’Ethiopie et plusieurs milliers n'ont pas réussi à l'atteindre.

A l’est, la frontière avec l’Erythrée est fermée depuis plus de dix ans. Le dernier conflit éthio-éryhthréen a fait plus de 100.000 morts en deux ans.  La zone est calme en temps normal mais les deux gouvernements s’invectivent et chacun attend la chute de l’autre. C’est à proximité de cette frontière,  qui ferait un peu penser au désert des tartares (on dit que Buzatti s’est d’ailleurs inspiré des paysages de la région pour écrire son livre), qu’un groupe d’une vingtaine de touristes a été attaqué cette semaine durant son sommeil sur les pentes du volcan Erta Ale, dans le désert des Danakils, l’un des territoires les plus hostiles et les plus magiques de la planète. L’origine de cette attaque n’est pas encore connue : groupe anti-éthiopien soutenu par l’Erythrée ? bandits de grand chemin ? contrebandiers en révolte contre le gouvernement ? Cinq touristes y ont laissé leur vie, plusieurs sont gravement blessés, quatre personnes ont été enlevées. Peu probable que nous puissions désormais nous y rendre pendant notre séjour en Ethiopie.

Troisième frontière, troisième conflit. La Somalie n’a plus d’Etat organisé depuis plus de 20 ans. La guerre permanente qui ravage ce pays a fait des centaines de milliers de morts, directement ou par famine interposée. L’année dernière, la conjonction de l’offensive du gouvernement provisoire contre les milices islamistes d’Al Shabaab et la sécheresse, ont provoqué des dizaines de milliers de morts. 160.000 réfugiés sont arrivés en Ethiopie, dans son sud aride.

Je devais me rendre dans un camp de réfugiés somaliens, à 600 km au sud de la capitale. 140.000 réfugiés y sont arrivés en quelques mois au milieu d’un quasi-désert. Le gouvernement éthiopien, les agences des nations unies et les ONG ont pris en charge cette immense foule miséreuse (des dizaines de personnes mourraient chaque jour à leur arrivée). Il faut tout amener (l’eau, la nourriture, l’essence) dans cette zone perdue, à quelques km d’un pays à feu et à sang. Je tenais à y aller pour me rendre compte du travail effectué, des besoins des organisations internationales et des ONG. Mais pour la deuxième fois, j’ai dû y renoncer 48 heures avant en raison d’une tentative d’enlèvement de personnels humanitaires.

Pas d’images pour illustrer ces réalités.  Juste une carte. Peut être un jour prochain pourrais-je illustrer ces quelques lignes car c. ’est aussi l’Ethiopie.

Bises.

dimanche 8 janvier 2012

Vacances à Djibouti.



Pour les vacances de noël, nous avons envie de chaleur et de mer. Le climat à Addis est agréable, ensoleillé mais la température ne dépasse pas les 24° dans la journée et en décembre, les nuits sont très fraîches. Dès la tombée du soleil, vers 17h30, les températures baissent et nous ne pouvons pas rester dehors le soir. Plusieurs matins, le thermomètre flirtait avec les 3-4 °. Bref, on veut avoir le luxe de passer noël en short et en T-shirt, ce que nous n’avons jamais fait jusque là.


Djibouti est à un peu plus de 1000 km d’Addis par la route. Au moins 14h de route, sans doute davantage compte tenu de l’importance du trafic des camions. Djibouti est en effet le seul accès à la mer pour l’Ethiopie (85 millions d’habitants) depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993. La fermeture de la ligne de chemin de fer entre Djibouti et Addis, il y a quatre ans, oblige à recourir au seul transport par camion. Il n’y a pas non plus d’oléoduc et tout l’approvisionnement en pétrole du pays passe par la voie routière. Plusieurs dizaines de camions citernes circulent quotidiennement rien que pour alimenter l’aéroport d’Addis. Les milliers de tonnes de matériels nécessaires à la construction du barrage de la Renaissance passent également par ce seul axe : 1100 km jusqu’à Addis, plus de 200km par la route du nord vers Bahar Dar puis plusieurs centaines de km de pistes pour rejoindre le site du futur barrage.

Dans ces conditions, nous choisissons de nous rendre à Djibouti par la voie des airs. En vol direct, il faut un peu plus d’une heure. Malheureusement, à l’aller comme au retour, notre avion fera une brève escale à Dire Dawa. Pour Delphine, ceci rallonge le supplice de l’avion. D’autant qu’après notre décollage de Dire Dawa, le pilote fait demi-tour et nous indique qu’il retourne à Dire Dawa car il n’y a plus de pétrole à Djibouti. Difficile à croire. Vraisemblablement, la compagnie avec laquelle Ethiopian a un accord est en rupture de stock et le pilote ne peut pas acheter du kérosène à un autre fournisseur. Pour Delphine, le voyage tourne au cauchemar (3 décollages et 3 atterrissages, la crainte qu’on nous cache quelque chose). Nous finissons par atterrir à Djibouti au bout de quatre heures. L’air du soir et doux, agréable. La sortie de l’aéroport est longue en revanche. On nous avait dit qu’il n’y avait pas besoin de visa pour nos passeports. Il en fait bien un, comme pour les autres, même s’il est gratuit. Plus d’une heure seront nécessaires pour l’obtenir.

Nuit à la base militaire du Héron où nous avons pu louer des chambres. Atmosphère sympathique et aussi un peu étrange de ces familles de militaires qui recréent un bout de France sur ces quelques hectares à la pointe du golfe de Djibouti. Il y a même un supermarché de l’économat des armées. Nous y allons le lundi matin pour faire quelques courses pour le picnic. Venant d’Addis, on se croit dans la caserne d’Ali Baba alors qu’il n’y a sans doute pas beaucoup plus de choix que dans une supérette parisienne.  Nous nous promettons d’y repasser avant notre départ pour faire le plein de confitures « Bonne Maman », de jambon et de fromages. Malheureusement, alors que nous fantasmons pendant cinq jours, tels Pérette et le pot au lait, nous trouverons porte close à notre retour à la base le jeudi soir suivant. Vendredi et samedi sont les jours fériés dans ce pays musulman. Adieu veaux, vaches, cochons, confitures…

Le lundi matin, nous traversons rapidement le centre de Djibouti qui a gardé une allure de petite ville coloniale française et prenons la route vers le lac Assal, à une centaine de km de là, en compagnie d’un chauffeur-guide très sympathique, Aden. Nous faisons le tour du golfe de Tadjourah. Après avoir quitté la route d’Addis après une trentaine de km (la RN1, marquée avec des bornes de type français), nous sommes sur une nationale où le seul trafic croisé est celui des dromadaires et des chèvres. 
  



Le paysage est aride, avec quelques arbustes qui servent à nourrir les animaux. 






Nous voyons des hameaux afars, avec les huttesarrondies. Elles sont construites avec une armature en branchages recouverte de nattes tressées avec des palmes séchées. Les villages paraissent plus misérables que ceux que nous avons pu voir dans certains coins d’Ethiopie, posés dans un univers aride et minéral. Nous verrons même des huttes isolées, au milieu de nulle part. Leurs habitants courent dans la journée derrière leurs maigres troupeaux.

Le paysage devient complètement volcanique. Noir, avec des éboulis gigantesques, des fronts de lave refroidie, des failles vertigineuses. La dernière éruption s’est produite en 1978 et avait emporté la route sur laquelle nous roulons. Le paysage est à la fois sinistre et grandiose. Nous quittons la route et empruntons une piste sur une quinzaine de km. 





 Nous descendons sans cesse jusqu’à arriver au lac Assal. 

 

Nous sommes à moins 153 m en dessous du niveau de la mer. Le point le plus bas d’Afrique et l’une des zones les plus chaudes du continent.

 A cette saison, c’est parfaitement supportable (35°) mais les températures montent à 60° à partir d’avril. C’est un ancien cratère immense, occupé par un lac salé. Le sel est un peu exploité (au profit de l’Ethiopie notamment). Il y a des traces d’exploitation mais nous ne voyons aucune activité. Les couleurs sont splendides : blanc éclatant du littoral, vert du lac, noir des contreforts, bleu intense du ciel.


 

Nous reprenons la route vers Tadjourah. Encore une heure et demi de trajet dans ces paysages volcaniques puis le relief, tout en restant montagneux, s’adoucit un peu et une savane claire refait son apparition à l’approche de Tadjourah. 

Nous voyons un groupe de babouins surgir entre deux bosquets au bord de la mer. 

Nous arrivons enfin à l’hôtel du Golfe, à l’entrée de Tadjourah. Accueil sympathique, localisation idéale mais chambres très médiocres et nourriture bâclée. Dommage. 




Nous aurions dû aller au seul autre hôtel de la région, le CortoMaltese, que nous visitons et où nous dînons un soir. Bien mieux, incontestablement.



De l’hôtel, nous prenons chaque matin une barque pour nous rendre à la plage des sables blancs, à 20 mn de là. 








Lors d’un de ces petits périples, nous sommes accompagnés par des dauphins. 











Aux sables blancs, nous trouvons tout ce dont nous rêvions. Une immense plage à peine fréquentée, de l’eau à 26° et, à quelques mètres du bord, un splendide récif corallien. Des milliers de poissons de toutes les couleurs, des forêts de coraux magnifiques, des bénitiers mauves, des raies avec des points bleus presque fluorescents tapies sur le sable (le seul danger car leur piqure est redoutable)… je pense qu’il y a même plus d’espèces que ce que j’ai pu observer à Tahiti.




 



















 Les enfants et Delphine, qui se baignent pour la première fois dans une mer tropicale sont émerveillés. Gaëtan nous annonce à plusieurs reprises qu’il n’a jamais rien vu de si beau. Malheureusement, vous n’en verrez rien car nous n’avons pas d’appareil photo sous-marin !



 

 Sur cette plage, il y a des toukouls dans lesquels il est possible de dormir. Je regrette de ne pas l’avoir fait au moins une fois, même si l’on nous dit qu’on se fait bien manger par les moustiques. Mais une nuit à la belle étoile, dans la douceur de la nuit et juste au bord des vagues, ça m’aurait quand même bien tenté. Pour la prochaine fois. En attendant, nous déjeunons chaque jour sur place, à l’ombre du toit de paille. 
Tadjourah est une petite ville au milieu de nulle part. Sans doute un ancien village de pêcheur devenu une petite ville de garnison du temps de la colonisation française. Il y a encore un petit fort occupé par l’armée djiboutienne sur une colline qui domine la ville. 







Nous décidons de rentrer à Djibouti en prenant le ferry qui traverse le golfe trois fois par semaine en un peu moins de deux heures. Ca tombe bien, il y en a un le jeudi après-midi. L’embarquement se fait dans un chaos hallucinant.

Les passagers qui descendent, les gens qui viennent chercher des marchandises à bord, les passagers qui tentent comme nous d’embarquer, ceux qui amènent un troupeau à bord, les enfants de Tadjourah qui montent sur le ferry pour plonger, d’autres qui se cachent sous la rampe d’accès… les cris, les couleurs, l’agitation… Les quelques gendarmes djiboutiens montés à bord pour remettre un peu d’ordre décident finalement de faire descendre tous ceux qui n’ont pas leur place sur le bateau en donnant quelques coups de matraques, heureusement pas trop appuyés. 

Des cris, des rires, un mouvement qui s’esquisse. Le bateau finit par s’alléger de ses hôtes indésirables. Chose incroyable, nous partons même à l’heure.


 Le bateau s’éloigne du quai et remonte la rampe d’accès. Des dizaines d’enfants surgissent de ses entrailles et courent vers la rampe qui remonte. L’objectif est de plonger le plus tard possible pour rejoindre ensuite le quai à la nage. Un voisin me dit que c’est à chaque fois pareil, un véritable sport local. J’admire le sang froid du capitaine qui manœuvre prudemment pour éviter tout accident. Scène évidemment inimaginable en Europe….
 


Arrivée à Djibouti. Vue sur le port qui s’agrandit chaque année, avec notamment un nouveau terminal de containers. 






 
Nouvelle nuit au Héron et retour à Addis le lendemain, à nouveau via Dire Dawa et avec deux heures de retard au décollage. Dur, une nouvelle fois, pour Delphine.