samedi 5 novembre 2011

Dire Dawa, la bielle endormie.


Addis, le 7 novembre 2012 
De retour d’une mission de deux jours dans la deuxième ville du pays, Dire Dawa, à mi-chemin entre Addis Abéba et  Djibouti. Premier déplacement en avion dans le pays. Un peu plus de trois quarts d’heure de vol pour parcourir les presque 600 km, dans un des nouveaux Bombardier Dash 8 d’Ethiopian Airlines.

Les constructions de nouveaux immeubles autour d'Addis



Le parcours, entre 4 et 5000 m d’altitude permet de profiter du paysage (on n'est guère qu'à 2 ou 3000 m du sol) :









la marquèterie des champs de teff sur le plateau après le décollage d’Addis ;



Puis nous longeons la cassure du rift,  avec ses failles profondes et ses aplombs que j’ai hâte de découvrir depuis le sol ;





Les cultures en terrasse qui descendent le long de ce relief tourmenté disparaissent au fur et à mesure que nous survolons le rift proprement dit.









Le paysage devient alors steppique, avec par endroit des zones de culture irriguée, dans de grandes exploitations (sans doute du coton ou de la canne). Les grandes zones arides que nous survolons sont sillonnées par de multiples oueds, tous à sec. Dire Dawa apparaît dans ce paysage aride, complètement différent de celui que nous connaissons à Addis.


Dire Dawa est une ville qui comprend aujourd’hui entre 4 et 500 000 habitants. Cela paraît cependant difficile à croire car on ne voit ni grands immeubles, ni fortes densités de population et la ville ne paraît pas immensément étendue.





Nous embarquons dans une magnifique vieille 404 et nous rejoignons le centre ville en moins de dix minutes.






Mon programme de la journée est dense : visite de l’Alliance française (créée en 1908, installée dans l’ancienne école française de Dire Dawa, fermée dans les années 70 après le départ des ingénieurs et techniciens français), entretien avec le maire et l’un de ses adjoints, entretien avec le Président de l’Université puis visite de l’hôpital public en compagnie de sa directrice. Le lendemain matin, avant le départ sur Addis, sera plus touristique, avec visites de la gare et de la ville, entrecoupées par une interview donnée à la télévision locale.



La première impression du voyageur qui débarque à Dire Dawa, hors la différence de température avec Addis (une dizaine de degrés de plus car nous sommes environ 1000m plus bas) et l’aridité des environs, c’est le charme et l’apparente douceur de vivre.










Sans doute est-ce parce que nous reconnaissons le charme d’une ville de style colonial français, avec ses larges routes tracées à angle droit et plantées de jacarandas et de flamboyants, avec beaucoup de maisons basses entourées de leur jardin.


L’atmosphère est paisible, avec quelques rues plus animées par le passage des Tchouk-Tchouk qui font office de taxis.









Il y a aussi le quartier musulman, de l’autre côté de l’Oued à sec. Plus chaotique, plus grouillant de foule, avec énormément de commerces, un souk…






La ville est une création du chemin de fer franco (puis djibouto)-éthiopien (CFE).
Les insignes du chemin de fer franco-éthiopien

Le chemin de fer est arrivé de Djibouti en 1908 et la ville a pris alors son essor. Les principaux ateliers étaient là et plus d’un millier de cheminots travaillaient pour la gare. Le chemin de fer a malheureusement commencé à péricliter pendant la période du DERG, après 1974. Plus d’investissements, coupures fréquentes de la ligne en raison des attentats.











Les derniers ingénieurs et techniciens français ont quitté Dire Dawa au milieu des années 70. La chute du DERG en 1991 n’a pas permis de renverser la tendance et la concurrence de la route a commencé à se faire sentir.








Wagon de 1ere classe, avec fauteuil-couchette







Une quinzaine de trains continuaient de circuler quotidiennement jusqu’aux années 90 ; le dernier train pour Addis Abéba est parti en 2007 ; le dernier train pour Djibouti a quitté la gare au mois d’août 2010.









Les cheminots sont pourtant toujours là, près de 600 pour la gare de Dire Dawa. Le gouvernement les salarie : 200 birrs / mois pour les plus mal payés (8 euros), 1800 pour l’ancien directeur régional (un peu moins de 80 euros). Tous continuent de s’activer : pour tromper l’ennui, dans l’espoir d’une reprise du trafic un jour peut être, par amour de leur gare et de leurs trains à coup sûr.


Visiter la gare de Dire Dawa est un moment magique.
















Les ateliers, les machines outils dont certaines ont une centaine d’années, la fonderie, les magasins de pièces détachés, les wagons des années 50, les wagons pour le transport des chameaux,  les vestiges de l’organisation du travail, …





On a sous les yeux un monument d’histoire industrielle qui pourrait encore fonctionner : les chemins de fer français des années 30 transposés sous l’équateur.










Mes interlocuteurs me parlent de leur amour du métier, du compagnonnage qui permettait la formation des nouveaux (on venait de père en fils aux chemins de fer), de la modernité sociale qu’avait apporté le chemin de fer (les logements, la fourniture quotidienne d’un pain de glace aux familles des cheminots, le repas du midi à la cantine…).
La distribution des pains de glace
Le magasin des pièces détachées













Dans quelques mois, dans quelques années au mieux, tout cela aura disparu. La ligne de chemin de fer va pourtant être relancée.










Le pays en a un besoin vital car Djibouti est le seul accès à la mer pour ce pays de 85 millions d’habitants. La route Addis-Djibouti, est saturée de camions (plusieurs dizaines de camions citerne quotidiennement rien que pour alimenter l’aéroport d’Addis, en pleine expansion) et particulièrement dangereuse. Les Chinois viennent de signer un premier contrat avec le gouvernement éthiopien pour construire les 300 premiers km pour un peu plus de 1,2 milliards de dollars.


La voie passera-t-elle par Dire Dawa ?

On le dit ici en croisant les doigts.















Le chemin de fer franco-éthiopien aura en tout cas définitivement disparu.  Le nouveau chemin de fer sera plus moderne, plus rentable, mais surtout sans toute cette histoire que l’on touche du doigt en parlant avec les cheminots éthiopiens, tous francophones (fut-ce a minima), en flânant sur le quai et en regardant les panneaux écrits en français et en amharique.





Il faut souhaiter en tout cas que la vie reparte autour du chemin de fer car la ville souffre depuis de nombreuses années. Il était le poumon économique, celui qui permettait au commerce de s’épanouir, aux quelques entreprises présentes d’exporter. Ces dernières ont fermé il y a quelques années.

De nouvelles s’annoncent, financées maintenant par des capitaux chinois, indiens, turcs, dans le textile, la fabrication de ciment. Des milliers d’emplois sont promis. Dire Dawa espère. Pour l’heure, l’exportation du Khat vers Djibouti et la péninsule arabique est la principale source de revenus, tandis que la contrebande de produits ramenés de Djibouti fait vivre les commerçants locaux.


Ma visite est aussi l’occasion de me rendre au seul hôpital public de Dire Dawa. Un peu plus de 300 lits pour un bassin de population de plusieurs millions d’habitants. Il y a quelques cliniques privées mais accessibles seulement aux plus fortunés ou à ceux qui travaillent dans des entreprises ou dans une administration capables de financer une assurance privée pour leurs salariés, autant dire une faible minorité.  Dans toute l’Ethiopie, il y a environ 3000 médecins et chirurgiens pour 85 millions d’habitants ! La moitié sont à Addis.

Le seul appareil de radiographie, don de la coopération japonaise il y a 20 ans


On a beau s’attendre à ce que l’on va voir, c’est un choc. Les personnels font manifestement de leur mieux pour entretenir et faire tourner leur hôpital, garantissant un minimum d’hygiène là où c’est indispensable.



L’odeur est pénible à supporter, pas du tout celle des produits sceptiques que l’on sent en entrant dans nos hôpitaux. Celle des excréments, de l’infection. Les pauvres gens qui peuplent les lits déglingués dans les salles communes sont manifestement mal en point : accidentés, maladies pulmonaires et tuberculose, SIDA… Les femmes qui viennent accoucher restent souvent des jours à attendre la délivrance, faute de produits pour accélérer le processus.
La salle d'accouchement

Les familles campent à la belle étoile dans la cour de l'hôpital. On ne vient à l’hôpital que lorsqu’on ne peut plus faire autrement. Une seule journée d’hospitalisation coûte un peu plus de 200 birrs (8 euros), soit pour la plupart des habitants de Dire Dawa ou des environs, un quart d’un salaire mensuel. Tout le monde est accepté. Mais le malade aura une dette qu’il mettra plusieurs mois ou années à rembourser.
Je suis heureux de pouvoir annoncer à la directrice que nous allons financer la fourniture de 160 nouveaux lits et le lancement d’un partenariat avec Handicap International en attendant de développer de nouveaux projets. J’espère que nous pourrons développer des liens avec les Hospices civils de Lyon (Dire Dawa est jumelée avec Villeurbanne). Dans une quinzaine de jours, une équipe de chirurgiens français et belges viendra à Dire Dawa, pour la troisième fois, et opèrera pendant une semaine (chirurgie plastique, ophtalmologie si je ne me trompe pas).
Je quitte Dire Dawa après un peu moins de 48 heures avec des émotions partagées. 
A bientôt.
Bises et amitiés à toutes et à tous.
Olivier

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