Deux déplacements professionnels récents m'ont permis de découvrir une autre réalité de l’Ethiopie, celle de ces près de 300.000 réfugiés venus de tris pays voisins pour fuir la guerre, la faim, ou la dictature.
Les sommets du Simien dans la brume du soir |
L'endroit est splendide, au pied des montagnes du Simien qui montent à plus de 4000 m.
La nature est magnifique. La vie des paysans locaux s'écoule au même rythme que celle de tous les paysans des hauts plateaux éthiopiens.
Nous sommes en dessous de 2000 m d'altitude et il fait chaud. Il n'a pas plu depuis six mois et tout est très sec.
Une immense ruche de pierre |
C'est dans cet univers que trois camps ont été développés dans les dix dernières années. Ils accueillent 40.000 réfugiés érythréens. Plus de mille nouveaux arrivent chaque mois, passant la frontière entre les patrouilles de soldats et les champs de mines.
Il y a là des familles mais il y a surtout des jeunes gens et des jeunes filles, âgés de 17 à 30 ans, qui fuient le service militaire (qui dure des années, sans limite, sans salaire), la dureté du régime politique, la pauvreté, l’absence de perspectives.
La gestion de cette population jeune et majoritairement masculine, désoeuvrée, est particulièrement complexe pour le HCR.
Occuper les enfants |
Les jeunes filles doivent être protégées et des cas de viols sont régulièrement recensés. Je parle avec une jeune réfugiée. Elle a treize ans et est arrivée seule il y a quatre mois, ses parents ayant voulu la faire échapper au service militaire. Elle vit avec une dizaine d’autres adolescentes dans la cahute. Leur terreur est de devoir se rendre la nuit dans les latrines installées entre les maisons, alors qu’il n’y a aucun éclairage nocturne. Dans les yeux de cette gamine, je vois toute la détresse du monde.
Il y a près de 2.000 enfants mineurs non accompagnés.
Les plus jeunes ont 7 ou 8 ans, la plupart sont de jeunes adolescents.
Les classes regroupent 60 à 70 élèves, deux fois par jour |
Certains ont été poussés par leurs parents à franchir la frontière, munis du numéro de téléphone d’un parent émigré en Europe ou aux Etats-Unis. D’autres sont de pauvres petits bergers qui ont franchi par erreur la frontière et qui ne peuvent repartir en Erythrée. La Croix Rouge elle-même n’arrive pas à organiser leur rapatriement.
Une des fontaines du camp |
Les conditions de vie sont rudimentaires.
Les latrines |
La majorité des réfugiés vivent dans des petites cases en dur, construites de leur main avec les matériaux qui leur ont été fournis. Ils vivent à une dizaine dans chaque cahute, ce qui n’est pas très différent des conditions de vie des paysans éthiopiens de la région.
Mais plusieurs milliers de nouveaux arrivés vivent sous tente, ce qui est particulièrement pénible compte tenu de la chaleur.
Les réfugiés n’ont pas le droit de travailler (autrement que dans les quelques emplois fournis au sein des camps) et ils ne touchent aucun salaire. Ils perçoivent chaque mois une ration alimentaire fournie par le programme alimentaire mondial. De quoi faire l’injerra quotidienne, avec très peu de viande, de fruits et légumes ou de lait.
Dans une cuisine collective, les femmes préparent l'Injerra pour les enfants mineurs |
Quelques jeunes sont autorisés à poursuivre des études à l’université éthiopienne, d’autres peuvent rejoindre de la famille en Ethiopie quand ils apportent les documents nécessaires aux autorités.
Mais l’immense majorité de ces jeunes n’a ni espoir, ni perspective. Passés quelques mois, nombreux sont ceux qui décident de s’enfuir. Plusieurs milliers s’engagent ainsi sur les routes périlleuses du Soudan puis de l’Egypte pour tenter de rejoindre Israël (une destination mythique) ou l’Europe. En parlant avec quelques uns de ces très jeunes réfugiés, plein de vie et de volonté d’avoir un avenir, je ne peux m’empêcher de penser que quelques uns d’entre eux finiront leurs jours dans les eaux de la méditerranée au large de Lampedusa, ou victimes de trafiquants d’organes qui sévissent dans le Sinaï. Les plus chanceux atterriront à Calais, dans l’espoir de passer en Angleterre, et connaîtront des conditions de vie finalement pire que celles qu’un pays comme l’Ethiopie réussit pourtant à leur offrir.
Le "tapis à bagages" de la piste de Dollo Ado |
Deuxième mission, cette fois-ci à Dollo Ado, à la frontière somalienne. A près de deux heures de vol d'Addis.
L’an dernier, en l’espace de quelques mois, plus de 130.000 réfugiés somaliens, assoiffés, mourant de faim, sont arrivés, fuyant la sécheresse et la guerre. Le HCR et les ONG ont du faire face, durant le pic de la crise, à l’arrivée de plus de 1000 réfugiés par jour. Plusieurs dizaines d’enfants nouvellement arrivés mourraient chaque jour.
Tempête de poussière |
Le flux s’est ralenti depuis la fin 2011 mais reste important (plus de cent nouveaux réfugiés par jour). La communauté internationale s’est organisée pour gérer dans la durée cette véritable ville plantée au milieu du désert.
Chèvre contemplant son proche avenir ! |
Il faut envoyer chaque jour plusieurs camions, par des centaines de kilomètres de pistes, pour approvisionner les camps en eau, en pétrole, en nourriture. Il a fallu creuser des centaines de latrines (la peur permanente de l’épidémie), développer des centres de santé, créer des écoles….
Heureusement, contrairement à ce qui se passe à la frontière érythréenne, les ONG internationales se sont mobilisées en masse (l’effet des médias aidant). Leur travail, dans un environnement pénible, est remarquable.
Affiche pour inciter les familles à ne pas vendre les compléments nutritionnels |
La malnutrition des enfants, qui atteignait plus de 50 % en octobre dernier, est tombée à moins de 10 % grâce au travail accompli par des ONG comme Action contre la faim.
Dans cette zone chaude et aride, la vie nous est vite pénible. Mais pour ces réfugiés qui ont fui l’insécurité en Somalie, l’univers est en fait le même que celui dont ils viennent.
Ils semblent relativement bien, avec une qualité de vie qui est peut être meilleure (soins, alimentation…).
Je suis même étonné de voir que le centre du camp que je visite est devenu en quelques mois un marché, avec boutiques en dur.